En tant que bibliothécaire, comme jurée du prix littéraire Multitude, Lucie Nebas cultive la diversité des voix et des regards comme des richesses essentielles. Pour elle, les livres sont en effet autant de portes ouvertes sur le monde.

Dans les transports ou chez elle, Lucie Nebas n’a de cesse de voyager. D’un jour à l’autre, elle arpente les rues d’Istanbul avec les prostituées de l’autrice Elif Shafak, s’immerge dans le réalisme magique argentin de Mariana Enriquez, se retrouve en Castille aux côtés des « sorcières » de Layla Martinez ou observe avec effroi les réactions de villageois∙es italien∙nes face à des vagues de corps de migrants, avec Giulio Cavalli.

Pour elle, le plaisir de la lecture tient bien sûr à « l’histoire que l’on découvre, aux péripéties des personnages », à « l’écriture en elle-même, qui fait apparaître des rythmes et des sonorités ». Mais surtout, explique la bibliothécaire de la médiathèque Elsa Triolet, la littérature ce sont ces voix et ces regards singuliers, qui « donnent à voir différentes réalités et permettent de s’ouvrir à d’autres points de vue sur le monde ».

Une vocation tardive

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Lucie Nebas a « toujours lu ». Avec sa grand-mère, qui lui a appris à déchiffrer les lettres et les mots ; avec sa mère, « grand lectrice » ; à l’école aussi ; et puis seule, dévorant Harry Potter ou La quête d’Ewilan.

« Enfant et adolescent, toutes les grandes sagas et aventures permettent de développer l’imaginaire. »

Sa vocation de bibliothécaire n’est pourtant pas venue tout de suite. Née dans les Deux-Sèvres en 1989, Lucie Nebas se tourne d’abord vers une école d’art puis travaille comme costumière. « La conjoncture économique est cependant compliquée » et elle accepte une vacation de six mois à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou à Paris.

Elle a alors, comme beaucoup, « une image un peu poussiéreuse » de ces équipements. Elle découvre en fait « de vrais lieux de vie où il se passe plein de choses ». En 2017, elle reprend des études de Métiers du livre puis rejoint la médiathèque Elsa Triolet de Bobigny. Elle ne l’a pas quittée depuis.

Des livres pour tous et toutes

Ce qu’elle aime dans ce métier ? La diversité des missions et des tâches : renseigner et conseiller les usagers, organiser des rencontres et des animations, préparer des médiations avec toute sorte de public, accueillir des auteurs et autrices en résidences. « Il y a un côté culturel et un côté social », résume-t-elle, mais l’objectif est toujours le même : « répondre aux besoins du public, différent pour chaque bibliothèque ».

« Si on n’aime pas être en contact avec le public, on ne peut pas être bibliothécaire. C’est l’essence de notre travail car c’est un des derniers lieux à être ouvert à tous et gratuit. »

À Bobigny, l’équipe prend un soin particulier à sélectionner des livres « pour tout le monde ». Elle travaille avec des librairies spécialisées, pour des acquisitions en langues étrangères, porte attention aux catalogues des maisons d’édition indépendantes qui proposent « différentes voix, une ouverture et une diversité ». « La question de la représentation est essentielle. C’est important, quand on grandit et même adulte, d’avoir des histoires qui résonnent en nous, avec notre vécu », insiste Lucie Nebas, avant d’ajouter : « Cela montre aussi qu’on a notre place dans la société. »

Le multiculturalisme en partage

C’est cette conviction qui l’a incitée à rejoindre la médiathèque de Bobigny, mais aussi le jury du prix littéraire Multitude. « Ce festival et ce prix, se réjouit-elle, montrent que le multiculturalisme n’est pas quelque chose dont il faut avoir peur, que c’est au contraire une force, une richesse. C’est un beau message. »

Elle-même a connu adolescente l’expérience de l’ailleurs. Au moment de son entrée en 6e, sa famille a quitté la France durant 11 ans pour l’Espagne, puis l’Angleterre. Elle qui avait grandi à la campagne s’est retrouvée parachutée dans une métropole et un nouveau pays. « Ce n’était pas si loin de la France et mes parents nous avaient préparés mais il m’a fallu un temps d’adaptation », raconte-t-elle.

Aujourd’hui cependant, elle voit cette expérience comme « une richesse » qui a forgé son regard sur le monde. Elle y a sans doute puisé cette curiosité constante et bienveillante pour l’autre, cette envie de construire, page après page, des passerelles entre les cultures. Et, dans les rayons de la médiathèque, elle vient rappeler que l’ouverture à l’autre commence souvent par une histoire bien racontée.

Photo : © Bruno Levy / SSD

 

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