Raphaëlle Gras, au rythme des pas et des vies
L'Inde au coin de la rue

Pour la biennale Multitude, la guide touristique Raphaëlle Gras propose des balades d’immersion dans le sous-continent indien de Seine-Saint-Denis. Une invitation à dépasser les frontières – géographiques et sociales – portée par une femme passionnée de rencontres.
Du temple dédié à Shiva à La Courneuve au « petit Tibet » de La Chapelle en passant par les micro-quartiers bangladais de Pantin. D’une cérémonie tamoule à la cuisine d’une cantine sri lankaise en passant par les chants hindous kirtan. Avec les balades de Raphaëlle Gras, c’est toute la diversité du sous-continent indien qui se dévoile à Paris et en Seine-Saint-Denis. Bien qu’Ardéchoise de naissance, cette guide touristique de 59 ans connaît en effet bien ces cultures. Mariée avec un homme d’origine indienne, elle vit dans cette communauté depuis 25 ans. Et n’aime rien moins que la partager.
De la fascination à la professionnalisation
Son premier coup de cœur pour le sous-continent indien remonte au début des années 1990, lorsqu’elle part en vacances en Inde. Immédiatement, le pays l’« accroche » et l’« interpelle ». « Tout y est tellement différent, l’architecture, l’esthétique, les habits, la langue, la religion. Cela bouleverse », confie-t-elle. Depuis, elle y est retournée six ou sept fois mais c’est surtout son emménagement à Aubervilliers, il y a 25 ans, qui la rapproche définitivement du sous-continent indien. La ville comme la Seine-Saint-Denis comptent en effet d’importantes communautés venues du Bangladesh, d’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka.
« J’allais trainer dans les petites épiceries où on a un peu l’impression d’être dans un monde à part. J’ai commencé à rencontrer des gens et, petit à petit, j’ai créé des liens », raconte-t-elle.
Entre-temps, Raphaëlle Gras a exercé en tant que peintre-décoratrice, technicienne d’intervention sociale et familiale, directrice d’un incubateur culinaire. Par le biais de ce dernier, elle entre en contact avec l’équipe de Seine-Saint-Denis Tourisme. L’idée d’organiser des balades lui trotte déjà dans la tête et elle lui en propose une, à La Courneuve. Aujourd’hui, elle exerce ce métier à temps plein. Son offre s’est étoffée avec six balades régulières, mais aussi des animations et ateliers de cuisine, de dessins, de danse, de contes. Un choix qu’elle ne regrette absolument pas.
Se nourrir des histoires des gens
Dans ce métier, tout l’intéresse : « le partage, l’échange, raconter des histoires, travailler un sujet et effectuer des recherches ». Chaque nouvelle balade lui demande en effet plusieurs mois de préparation pour se documenter, lire et, surtout, arpenter les rues à la rencontre des habitant∙es. Parce qu’elle tient à placer l’humain au cœur de ses balades, la guide prend en effet un soin tout particulier à les nourrir des récits de personnes originaires du sous-continent et à leur donner la parole. « Sinon, ce serait du vent ou du voyeurisme », estime-t-elle.
Le contact avec les participant∙es à ses balades est aussi important à ses yeux. « Être guide, explique-t-elle, c’est un peu comme être comédien. Il faut jouer son rôle, que ce soit vivant et captivant. Je conçois mes balades un peu comme un petit spectacle. » Elle en profite pour déconstruire les images stéréotypées, insiste sur la diversité de cette région.
Ouvrir des sas
Au-delà du métier, ces rencontres sont surtout son moteur personnel. « Si je n’étais pas nourrie de ces relations, je m’arrêterais tout de suite, poursuit-elle. Je les entretiens régulièrement et je le fais parce qu’elles me touchent, que de vrais liens se créent. » Une conception qui dénote avec « une ambiance nationale qui ne favorise pas la rencontre ».
« On nous parle de communautarisme, mais ce sont les Français surtout qui se renferment sur eux-mêmes, regrette-t-elle. Pour pouvoir s’intégrer, il faut être bien reçu. Ce n’est pas dans un seul sens. Or, nous vivons un peu tous en parallèle, dans des sas, avec beaucoup de méfiance ». Pourtant, ajoute-t-elle, « plus vous rencontrez de gens différents, plus vous vous enrichissez. Venir de Province à Paris, vivre en Seine-Saint-Denis, être travailleuse sociale, m’ont changé. Toute nouvelle étape de la vie est ainsi. Après, cela tient à la volonté de chacun de s’ouvrir ou pas ». Elle a choisi de le faire, et n’a de cesse d’ouvrir ces sas.
Plus d’infos sur : L’Inde au coin de la rue, 06 31 91 41 07, anardana93@yahoo.fr