Jeff Mathurin : « Sortir du nous contre nous »
93 mondial et Ajis

Depuis plus de 10 ans, au sein de l’Ajis et du 93 mondial, Jeff Mathurin n’a de cesse de rassembler et fédérer les jeunes (et moins jeunes) par l’entraide, la solidarité et le football. Portrait d’un bâtisseur de ponts, qui ambitionne d’unir le département.
Une simple idée aussitôt reprise en demi-volée, un ballon, de l’envie et de l’instinct. Il n’aura pas fallu beaucoup plus pour que s’organise, en 2019, un des événements les plus fédérateurs d’Aulnay-sous-Bois : la CAN des quartiers. Ce tournoi de football – qui oppose des équipes de jeunes de différents quartiers d’une ville sous les couleurs de leur pays d’origine – a vu le jour quelques temps plus tôt à Créteil, suscitant immédiatement un engouement dans toute l’Île-de-France. « Des jeunes m’en ont parlé, j’ai appelé un de mes collaborateurs dans la minute et, en deux jours, on mettait tout en place », raconte Jeff Mathurin. Il ne sait pas encore qu’il vient de donner naissance à un phénomène qui dépassera les frontières de sa ville.
La solidarité sur tous les fronts
Né en Guyane en 1992, mais Aulnaysien depuis trente ans, Jeff Mathurin n’en est pas à sa première organisation d’événements. Dans le civil, il est responsable numérique de secteur à la Maison de l’emploi, après avoir commencé comme médiateur. Surtout, en 2013, il a cofondé avec d’autres jeunes une association désormais bien connue des Aulnaysiens : l’Association pour les jeunes par l’insertion et la solidarité. Il a alors à peine une vingtaine d’année.
Au départ, il ne s’agit que de monter un projet humanitaire au Burkina-Faso pour permettre un accès à l’eau. C’est le coordinateur des centres sociaux de la ville qui l’a incité à s’investir dans cette action. Il s’y implique pleinement.
Créée pour porter ces projets, l’Ajis multiplie très vite les actions sur le territoire : maraudes sociales, soirées culturelles, initiations sportives, soutien scolaire, partenariat avec les collèges pour lutter contre le harcèlement et le décrochage scolaire, remobilisation et orientation des jeunes, ateliers avec des seniors dans des Ehpad, etc. Autant de choses que Jeff Mathurin trouve « normales », « mais qui, si nous ne les faisons pas, n’existeront pas ». Et puis, en 2019, c’est sur un autre terrain que l’Ajis marque les esprits, avec la CAN des quartiers…
Le temps de la pause
La situation sur le territoire est alors tendue. « Les forces de l’ordre étaient fortement présentes et les jeunes encore plus dans la confrontation, se souvient Jeff Mathurin. On a lancé la CAN pour faire une pause, et ça a fonctionné. Durant plusieurs semaines, on ne parle que de ça. La ville vit pour la CAN et les rixes sont complètement stoppées. »
Les jeunes se passent le mot et, dès le premier match, drapeaux, fumigènes et chants envahissent les alentours du Béton, le stade urbain situé au cœur de la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois. La technique, le beau jeu et la pression sont au rendez-vous. Le stade s’enflamme, des vidéos circulent sur les réseaux, le rappeur Niska commente : « La CAN d’Aulnay vous êtes en feu, faut ça dans toutes les villes de France on a dit ! »
Organisé chaque année depuis, l’événement rassemble jusqu’à 4500 personnes par match dans un enthousiasme communicatif. Des jeunes bien sûr, mais pas seulement. « Les gens aiment le foot et aiment leurs pays. Là, ils ont les deux. Les parents se déplacent. Pour les jeunes, c’est un sentiment exceptionnel, de fierté. » Et aux aigri∙es criant au communautarisme, il répond que « c’est tout l’inverse » : « C’est un événement très rassembleur, qui ouvre, permet d’échanger, de créer du lien et des souvenirs. »
« Nous savons que nous sommes français et connaissons l’hymne national par cœur, mais nous ne pouvons pas gommer que nous avons une origine. C’est simplement une façon de rappeler l’histoire des jeunes, celles de leurs parents. »
Une passe à 16
Quand le Département lui propose en 2023 d’organiser un tournoi similaire pour la première édition de Multitude, Jeff Mathurin n’hésite pas plus longtemps qu’en 2019. « J’avais déjà cette idée de rassembler tout le département, pour qu’on sorte du « nous contre nous » et garder seulement le « nous« , explique-t-il. Mais c’était compliqué à organiser, notamment en termes de financement. »
Remporté par la Côte d’Ivoire pour les hommes et la Turquie pour les femmes, ce premier 93 mondial mobilise huit villes mais lui laisse un goût d’inachevé. « En raison du couvre-feu et de tout ce qui se passait, nous n’avons pas pu avoir beaucoup de supporters », regrette-t-il.
Cette année, il remet le ballon en jeu et compte bien marquer un but décisif avec une finale en forme de « grand show rassembleur ». Le nombre de villes impliquées a d’ores et déjà doublé. Et Jeff Mathurin ne compte pas s’arrêter là. Il s’est déjà fixé des objectifs ambitieux pour les futures éditions, avec en point de mire pour 2029 rien de moins qu’une finale au stade de France. Un pari fou ? Rien n’est moins sûr.
Découvrez le programme du 93 mondial durant Multitude
Vingt équipes affutées, une ambiance survoltée, un trophée convoité et un voyage à la CAN en jeu : bienvenue au 93 Mondial ! Cette grande fête du foot de rue embrasera le parc Georges-Valbon le 6 juillet, en clôture de la biennale Multitude.
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